LES ENCHANTEURS de ROMAIN GARY
JE NE ME SUIS PAS ENCORE REMISE DE SA LECTURE :
LA BEAUTE ABSOLUE FAITE TEXTE.
Fosco Zaga, un très vieil écrivain raconte avec passion la vie de son grand-père Renato saltimbanque à Venise et que celui-ci a dû fuir pour la Russie, celle de son père Giuseppe et par conséquent son enfance à lui.
Le décor est posé : Les "vieilles forêts russes" autour de Lavrovo "si propices aux légendes et aux rêveries."
L'histoire familiale : Les Zaga sont des "enchanteurs" depuis plusieurs générations.
"- Souviens-toi, mon fils, que l'on ne peut rien contre la vérité, aussi désagéable, menaçante et cruelle qu'elle soit, mais on peut toujours tout contre ceux qui vous la disent.... et alors, c'est la misère, quand ce n'est pas la prison ou même pire. Ton grand-père Renato est mort riche et honoré parce qu'il avait compris ce que le public attendait de nous autres ses humbles serviteurs : un peu d'illusion, un peu d'espoir..."
Un décor et une imagination riches de plusieurs générations d'enchanteurs, l'amour que Fosco éprouve pour sa très jeune belle-mère, et nous voilà au coeur d'une histoire dense, belle, écrite dans un style magnifique.
Avec ses dons d'enchanteur, du papier de l'encre et une plume Fosco saura rendre cet amour incandescent et éternel. A la fin du roman vous aurez les larmes aux yeux, ne luttez pas !
"- Je ne vieillirai jamais, lui annonçai-je. C'est très facile. Il suffit de l'encre, du papier, d'une plume et d'un coeur de saltimbanque."
Voici les premières lignes du roman :
"Une haute cheminée de pierre grise debout sur ses pattes de lion, une couverture sur les genoux, le cordon de la sonnette à portée de la main, car mon cœur oublie parfois ses devoirs, un petit bonhomme de feu en costume d'Arlequin, jaune, rouge, vert qui danse sur les bûches... Quel est donc mon frère inconnu qui a dit : « Je me suis conservé enfant par refus d'être un homme »?...
De toutes mes enfances, celle qui m'a toujours prêté sa voix avec le plus d'amitié et sera cette fois encore ma Narratrice, se situe aux environs de 1760, dans notre propriété de Lavrovo, province de Krasnodar, au cœur de ces vieilles forêts russes si propices aux légendes et aux rêveries. Mes premières années furent un long murmure des chênes ; c'est en leur compagnie que j'ai fait mes premiers pas; il me semble parfois que ce sont eux qui m'ont bercé plutôt que ma nourrice, et qu'ils m'ont plus appris que mes précepteurs. Rien n'enrichit tant l'âme enfantine que tout ce qui donne une chance au mystère et les forêts sans chemins autour de Lavrovo ouvrirent très tôt à mon imagination mille sentiers que je ne devais plus jamais cesser d'explorer. Dès l'âge de six ans, je me mis à les peupler de monstres et d'enchanteurs, à déceler parmi ces ombres épaisses des gnomes et des liéchy, démons forestiers si redoutés des paysans; je marchais vaillamment contre ces puissances du mal à la tête de mes armées de chênes et nous célébrions ensemble nos victoires en chantant.
- Et qui as-tu encore rencontré aujourd'hui? demandait parfois mon père, lorsque je revenais affamé à la maison et me gavais de galettes aux confitures qui grésillaient à longueur de journée sur le fourneau de notre cuisinière Evdôtia. J'énumérais vingt-deux dragons rouges, sept nains jaunes aux ailes noires tachetées de vert et une araignée géante armée jusqu'aux dents, tous vaincus en combat singulier.
Mon père acquiesçait gravement.
— C'est bien, disait-il. Mais souviens-toi, plus tard, quand tu seras grand, que les monstres les plus redoutables sont invisibles. C'est justement ce qui les rend si dangereux. Il faut apprendre à les flairer.
— Je lui promis de ne jamais être dupe de ruse si grossière... "